Martial Kammerer, 28 ans, natif de Kirchberg, a intégré depuis juin une équipe de chercheurs dans la prestigieuse industrie pharmaceutique Novartis à Bâle, un des leaders mondiaux en ce domaine. A entendre parler ce jeune scientifique souriant, sympathique et humble, le parcours qu’il a suivi est un curieux mélange d’un plan de carrière clairement défini et de hasards ou d’opportunités saisis au vol. Martial affirme qu’il a toujours su qu’il exploiterait ses capacités en biologie ; il avance, modestement, qu’il a choisi la biologie par défaut : «dès le lycée, je pouvais toujours m’y rattacher, même quand les autres matières ne fonctionnaient pas». Cette orientation « par défaut » le conduit tout de même à faire son DEUG à Strasbourg puis à intégrer une école d’ingénieurs, l’INSA (Institut National des Sciences Appliquées) de Lyon.

Ce choix était bien sûr motivé : Martial pense qu’un cursus classique par la faculté est moins « facile à vendre » sur le marché du travail ; changer d’école, de système d’enseignement, de région sont autant de signes d’adaptabilité pour de futurs employeurs. Par ailleurs, la formation de l’INSA est plus pratique, mieux encadrée. Dernier point non négligeable, cette école pousse ses étudiants à parfaire leur formation à l’étranger, elle les y aide par le biais d’accords avec des universités étrangères.

C’est ainsi qu’au cours de sa deuxième année, Martial part de fin août à décembre faire un semestre d’études à Montréal au Canada. Ce type d’échange est très fructueux même si le plus souvent les études ne sont pas privilégiées, c’est surtout une aventure humaine. Martial avoue que ses 12 heures de cours n’étaient pas sa principale préoccupation, dès qu’il évoque ce moment de sa vie, un large sourire se forme inconsciemment sur son visage : l’expérience fut résolument heureuse. Heureuse par sa rencontre avec la « belle province » : le dépaysement total de ce pays partagé entre deux cultures : la France et les Etats-Unis, avec une volonté farouche de garder leur propre identité au milieu de ces deux grandes entités. Dépaysement par la langue qui n’est pas tout à fait la même, ni tout à fait une autre. La question de l’identité linguistique est très intéressante et amusante également, vue d’un œil français. Les canadiens sont si attachés au français, qu’ils traquent tous les anglicismes, beaucoup plus qu’en France. C’est ainsi que Martial a pu voir au cinéma Fiction pulpeuse de Quentin Tarantino, sorti ici sous le titre Pulp fiction. Dépaysement par les températures glaciales, Martial avoue avoir parfois des réminiscences de sensations : lorsque nous sommes au plus fort de l’hiver ici, cela le renvoie à l’extrême froid canadien et cela lui fait, paradoxalement, chaud au cœur. Il est également allé au devant des gens qu’il a trouvés très avenants. A l’époque, la question du vote pour l’indépendance du Québec alimentait toutes les conversations dans les pubs et cafés, ce qui lui a permis de saisir rapidement les enjeux de la situation et de s’imprégner de cette culture de l’entre-deux, et, comme ils disent là-bas « last but not least » (dernière remarque mais non la moindre), de se faire des amis. En rentrant en France, il finit son cursus à Lyon, puis fait un stage dans un laboratoire de recherche strasbourgeois et y reste pour sa thèse de doctorat. Le hasard a voulu qu’un de ses camarades, auquel était destinée la place, parte à l’étranger, lui laissant la voie libre. En effet, travailler dans cet institut de recherche est une gageure car son directeur, une sommité, en matière de recherche pharmaceutique sur des sujets aussi brûlants que le cancer ou la recherche génétique, frôle régulièrement le prix Nobel. Cette reconnaissance et cette réussite permettent au laboratoire d’avoir beaucoup de moyens, Téléthon entre autres.

Profession : CHERCHEUR

Ce tableau idyllique comporte évidemment un revers : passé la porte du laboratoire, on pourrait dire que les lois sur le travail en vigueur partout ailleurs n’ont plus cours, des lois internes, officieuses mais très présentes, pesantes, pressantes prennent le relais. Ainsi, Martial travaille pendant cinq ans 70 à 80 heures par semaine, week-end compris. Il pense que finalement la sélection au niveau des personnels se fait plus sur leur capacité à endurer le stress, la fatigue et le manque de temps libre que sur leur niveau de compétence, sensiblement égal pour chacun. Sa thèse portait, pour faire simple, sur l’observation des cellules composant le cerveau de la mouche drosophile en vue de déterminer comment fonctionne le cerveau humain. Ces recherches, même si leurs applications sont très lointaines, ont pour utilité de faire essentiellement avancer le développement des remèdes contre les cancers du cerveau qui sont parmi les plus meurtriers. Ce labeur harassant lui permet de publier des articles en France et à l’étranger. Ceci peut paraître accessoire, pourtant, c’est cette renommée acquise par des compte-rendus de travaux qui va assurer la reconnaissance d’un chercheur et lui permettre de « se vendre » sur le marché du travail et donc de poursuivre ses recherches dans les meilleures conditions. Il décide de mettre un terme à sa thèse après cinq ans, suite à la publication d’un très gros projet qui a donné des résultats. Il estime en avoir terminé, et parvient à convaincre sa chef d’arrêter là. Il obtient donc le titre très convoité de « docteur en biologie ».

Le parcours de l’étudiant chercheur ne s’achève pas ainsi, il fera d’abord ce qu’on appelle un « post doc » pour « post doctorat » durant deux ans. Pour ce « post doc », Martial a envie de changer de sujet d’étude et de s’essayer au privé. En mai dernier, il parcourt les petites annonces et répond à une demande de Novartis. Sans attendre, il envoie son CV par internet et est convoqué à une journée d’entretien et de présentations diverses durant laquelle on le jauge. Il convient immédiatement pour le poste, mais réserve sa réponse trois semaines car il hésite à partir travailler au Danemark. Pesant le pour et le contre, il choisit Novartis pour l’envergure de l’entreprise et les possibilités d’évolution plus étendues qu’elle offre. Il devient ainsi un des nombreux travailleurs frontaliers de Bâle. Depuis, il travaille sur un autre problème médical crucial : l’ostéoporose, cette maladie qui fragilise peu à peu les os. Il cherche à déterminer son fonctionnement exact et espère pouvoir apporter une pierre à l’édifice du remède contre cette pathologie. Il travaille actuellement dans une unité de recherche de 70 personnes composée de petites équipes de cinq personnes environ. Il apprécie beaucoup ses collaborateurs, tous français comme lui, ce dont il se félicite car les suisses lui semblent avoir une mentalité assez rigide qui lui convient moins mais dont il s’accommode puisque ce travers l’amuse plutôt qu’il ne lui porte sur les nerfs. A la question de l’ambiance à Novartis, il avoue ne pas trop savoir encore parce que le site bâlois est immense, il côtoie trop de personnes pour pouvoir se faire une impression globale. Toutefois, ses collègues sont plus
âgés qu’à Strasbourg, il est ainsi, à 28 ans, le plus jeune de son étage. Les conditions de travail sont agréables, le travail est important mais pas démesuré.

En ce qui concerne son avenir, il n’a pas défini un plan de carrière précis, non pas parce qu’il ne se préoccupe pas de la question et est insouciant, mais parce qu’il est conscient que la conjoncture actuelle est trop mouvante pour pouvoir faire des plans sur la comète. Sa seule certitude est qu’il s’agit de saisir les opportunités. Cependant, même si l’avenir n’est pas tout tracé, ce parcours sans faute est certainement l’expression d’une vraie vocation : il a toujours voulu devenir chercheur et cet engouement ne s’est pas effrité face aux réalités du métier. Sa vocation n’aurait pas pu se concrétiser sans le soutien inconditionnel de ses parents ; d’ailleurs, au cours de l’entretien, Martial ne manquera pas de signaler leurs nombreuses et judicieuses interventions au cours de ses études. Toujours présents, aimants et confiants, ils ont su, tout au long de ces années et maintenant encore, aplanir les difficultés, lui insuffler l’envie de poursuivre et lui donner la confiance en lui sans laquelle rien n’est possible. S’il semble s ’être accompli, il sait qu’il leur doit un grand merci. Il est intarissable sur son métier qu’il qualifie de « non routinier » : bien sûr, il faut faire des expériences qui peuvent prendre plusieurs jours, plusieurs mois, il est également nécessaire de les reconduire pour faire des statistiques parlantes. Toutefois, ceci poursuit un dessein plus vaste : Martial échafaude des hypothèses qu’il va chercher à prouver, c’est le principe même de cette noble science qu’est la recherche fondamentale, « pure » comme la qualifie certains. Quelquefois, ces hypothèses s’avèrent fondées et les plans se déroulent comme prévu, d’autres fois, on se retrouve dans une impasse et il faut abandonner. Et enfin, parfois, les recherches vont amener Martial sur des terrains insoupçonnés, entraînant ses recherches sur de nouvelles pistes non moins intéressantes et ouvrant la voie à d’autres chercheurs.
Ainsi, la recherche apparaît comme une vaste entreprise mondiale, muée par des intérêts scientifiques, économiques et humains, dans laquelle les chercheurs travaillent inlassablement, agissant chacun à leur niveau et dans leur pays pour mieux comprendre et résoudre les maux qui affligent les êtres humains. Sans sombrer dans la mièvrerie, c’est un noble but, me semble-t-il, que d’œuvrer au bien de l’humanité.
Laurence Weigel

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